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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 01:20

Peut-on réduire le coût du crédit en Afrique

Par Paul-Harry AITHNARD

La baisse des taux d’intérêt, orchestrée par différentes Banques centrales africaines, a jusque-là peu d’incidence sur le coût du crédit pour les classes moyennes ou les PME de Dakar, Abidjan, Douala ou Nairobi.

Analyse

Le 16 juin 2009, la BCEAO a réduit son taux directeur de 4,75% à 4,25%. Le 26 juillet 2010, la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) annonçait à son tour une baisse de son taux directeur de 25 points de base à 4%.

Ces décisions s’inscrivent dans une dynamique de baisse des taux observée sur toute l’Afrique subsaharienne, depuis 2009. La Banque centrale du Kenya a baissé ses taux d’intérêt à six reprises depuis 2009, pour atteindre aujourd’hui 6%. La Banque centrale du Ghana a réduit de manière continue depuis deux ans ses taux de 18,5% à 13,5%. Pour la première fois en trois ans, la Banque centrale du Malawi a abaissé son taux directeur de 15% à 13%. Même scénario pour la Banque centrale du Congo, qui a réduit pour la cinquième fois son taux principal, le faisant passer de 29,5% à 22%.

Malgré ces initiatives, force est de constater qu’elles ont eu peu d’incidence sur le coût du crédit pour les classes moyennes ou les PME de Dakar, Abidjan, Douala ou Nairobi.

Coût dissuasif

Les établissements financiers en Afrique subsaharienne ont du mal à répercuter dans leurs pratiques de crédit les cycles de baisse de taux engagés par les Banques centrales. Tous les rapports, tels celui de la Banque mondiale de 2008 sur le financement des PME en Afrique, confirment le coût prohibitif du crédit.

La marge entre le taux d’intérêt sur les dépôts et celui sur les prêts n’a paradoxalement cessé de croître depuis les années 80, alors que les conditions économiques se sont significativement améliorées.

Entre 1980 et 1984, cette marge était en moyenne de 5,2%. Entre 2000 et 2003, cette marge a bondi à 11,8% en moyenne dans les pays d’Afrique. Ces marges reflètent le coût dissuasif du crédit et se traduisent dans le montant des crédits accordés par les établissements financiers.

Les crédits bancaires accordés au secteur privé, en pourcentage du PIB, sont estimés en Afrique subsaharienne à uniquement 15,1% dans la période 2000-2004. Fait troublant mais évocateur, ce chiffre n’a pas évolué depuis 1983-1987 (15,6%).

Raisons du décalage

Les raisons du décalage entre les taux du marché monétaire et ceux appliqués à la clientèle sont avant tout structurelles. Le premier frein structurel est le manque de compétition dans le secteur bancaire.

Même si cette dynamique a significativement évolué sur les dix dernières années, le ratio de concentration dans le secteur bancaire demeure élevé, avec une grande partie des actifs détenue par les trois principales banques dans la majorité des pays africains. La Banque mondiale estime la part de marché moyenne des trois principales banques en Afrique à 73% par pays. Les sociétés spécialisées de crédit à la consommation ou de crédit hypothécaire sont quasi inexistantes dans la plupart des pays.

Ce manque de compétition crée une habitude d’aversion au risque et finit par créer des établissements assis sur des liquidités oisives et préférant investir dans des actifs étatiques.

Dans certains pays tels la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale ou le Tchad, les réserves excédentaires rapportées au total des dépôts peuvent dépasser 25%.

La deuxième contrainte structurelle est la composition des dépôts bancaires. Ce sont principalement des ressources à court terme, difficiles à convertir en prêts sur plusieurs années, en l’absence de produits financiers spécialisés.

Les banques ont du mal à octroyer des prêts sur des durées au-delà de cinq ans à un coût acceptable, puisqu’elles ne disposent pas de dépôts correspondants. Ce problème est surtout criant pour les prêts hypothécaires.

Le troisième obstacle est la faiblesse des fonds propres des établissements bancaires, qui limite leur capacité de crédit. En 2008, le ratio de couverture des risques par les fonds propres effectifs a été estimé à 8% dans la zone UEMOA, alors qu’il atteint 20% dans des pays tels le Nigeria.

Il est difficile de demander à une banque faisant face à peu de compétition, disposant en majorité de ressources à court terme, avec un ratio de couverture des risques par les fonds propres en dessous de 8%, d’adopter une politique d’octroi de crédit agressive.

Le dernier blocage structurel est le manque d’accès à l’information sur le crédit. Il est impossible à une banque d’accorder des prêts sans visibilité sur les garanties et sur la capacité financière des emprunteurs.

La question de la fiabilité des informations sur les historiques de crédit et les garanties, couplée à celle de la transparence sur les taux d’intérêt est essentielle et demeure un point de blocage qui accroît le coût du crédit en Afrique.

Le microcrédit n’est pas la panacée

Peut-on alors réduire le coût du crédit en Afrique ? La réponse est OUI, mais en proposant des solutions innovantes. Il convient tout de suite d’écarter la solution du microcrédit comme panacée pour résoudre le problème du coût du crédit en Afrique. C’est une partie de la solution, mais une part congrue.

Le microcrédit permet d’augmenter la bancarisation et le niveau de compétition dans le secteur bancaire, mais ne permet pas de régler un problème essentiel, qui est la capacité à donner des prêts à moyen et long terme à un coût abordable. Par essence, le microcrédit s’adresse en priorité à des particuliers à la recherche de crédit à court terme.

Marchés des capitaux

Une des premières pistes à explorer fait appel aux marchés des capitaux. En effet, pour régler le problème du manque de dépôts à long terme, les banques doivent chercher individuellement, ou en s’associant avec des structures spécialisées, à lever des fonds sur les marchés financiers en émettant des obligations avec des maturités longues.

Pour régler le problème du coût du crédit hypothécaire, il faudrait associer les banques avec des structures dédiées de refinancement hypothécaire pour lever des fonds sur les marchés. L’objectif est de collecter les fonds sur les marchés obligataires par les établissements de crédit hypothécaire, qui les "prêteront" par la suite à des banques dans les mêmes conditions de durée et de taux.

Les fonds levés peuvent être garantis par l’Etat, ou, plus logiquement, par un portefeuille de créances hypothécaires. Ainsi, les banques disposeront de ressources longues qui leur permettent d’octroyer des crédits hypothécaires. Dans un contexte général de baisse des taux d’intérêt, les fonds peuvent être levés à un coût relativement abordable et re-prêtés dans les mêmes conditions aux banques, abaissant ainsi significativement le coût du crédit hypothécaire.

Shelter Afrique s’est lancée avec succès dans cette voie, depuis plusieurs années, en émettant des obligations sur les Bourses de Nairobi et d’Abidjan, avec des maturités qui lui permettent par la suite de proposer des programmes de financement sur l’immobilier.

Renforcer les fonds propres

L’appel aux marchés des capitaux peut permettre aussi de régler efficacement la question de la faiblesse des fonds propres. Dans un environnement global de taux d’intérêt en baisse, il est judicieux pour une banque de lever des liquidités directement sur le marché ou par placement privé, pour renforcer ses fonds propres.

Les banques internationales l’ont compris et complètent plusieurs opérations de levée de fonds depuis un an. Les banques du Nigeria, de la zone UEMOA ou du Kenya suivent aujourd’hui la même tendance. Cette dynamique doit être amplifiée.

Avec des fonds propres plus importants, les banques disposeront de plus de capacités de crédit permettant à terme d’abaisser le coût du crédit en Afrique.

Un système centralisé de crédit

L’autre innovation à amplifier est l’amélioration de l’environnement réglementaire par le développement de bureaux centralisés de vérification du crédit et de systèmes d’enregistrement d’actifs.

En effet, l’une des principales causes du coût élevé du crédit est l’absence de garanties, laquelle est due non à l’insuffisance des actifs, mais à l’inefficience dans l’enregistrement.

Un système centralisé qui agrégerait les informations du cadastre, de l’historique du crédit, du transfert des titres de propriété, financé par les partenaires publics et privés, est essentiel.

Favoriser l’accès à ces informations permettrait aux banques de réduire le coût de surveillance de leurs activités et, ainsi, abaisser le coût du crédit.

Le Ghana et la Zone UEMOA ont entamé dernièrement des améliorations réglementaires qui vont dans cette direction. Elles doivent être soutenues. 

Multiplier les mécanismes de garantie

Cette analyse serait incomplète sans parler du coût du crédit dans le commerce et le secteur agricole, deux domaines particulièrement affectés. La bonification du crédit par le développement des systèmes de garantie, est une des clés pour baisser le coût du crédit dans ces secteurs d’activités.

Etant donné la dominance des PME en Afrique, il est nécessaire de multiplier les mécanismes de garantie pour abaisser les charges d’exploitation des banques et le coût du crédit. Dans le domaine du commerce international, développer les facilités de garantie permettrait aux entreprises africaines de se faire confirmer des lettres de crédit sans les dépôts exorbitants en collatéral, qui augmentent le coût du crédit.

Les activités des assureurs de crédits à l’exportation tels ATI (African Trade and Insurance Agency) peuvent dans ce sens permettre de réduire le coût du commerce en particulier et du crédit en général en Afrique.

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